Physiopathologie et rôle de l’inflammation de type 2 dans le prurigo nodulaire

Physiopathologie et rôle de l’inflammation de type 2 dans le prurigo nodulaire

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Par Misery L. le 17 septembre 2024Revues généralespdfTable des matières

  1. Définition
  2. Physiopathologie : la sensibilisation au prurit
  3. Physiopathologie : rôle de l’inflammation de type 2
  4. Conséquences thérapeutiques
  5. Conclusion

Définition

Au sens strict du terme, le prurigo nodulaire est la forme la plus sévère et la plus fréquente de prurigo chronique, ou bien la forme au cours de laquelle les nodules prédominent ou sont les seules lésions. En pratique, ce terme est souvent utilisé pour parler du prurigo chronique, ce d’autant plus que les Américains l’utilisent volontiers plutôt que le terme de prurigo chronique, qui a été validé au niveau européen [1].

Le prurigo chronique est une maladie définie par la présence d’un prurit chronique pendant au moins 6 semaines, d’antécédents et/ou de signes de grattage répété, et de multiples lésions cutanées prurigineuses localisées ou généralisées (papules, nodules et/ou plaques blanchâtres ou rosées) [2]. Le prurigo chronique est dû à une sensibilisation neuronale au prurit et au développement d’un cycle vicieux prurit-grattage. Le prurit chronique peut être d’origine dermatologique, systémique, neurologique, psychiatrique/psychosomatique, mixte ou indéterminée [2].

Cinq formes ou types cliniques ont été décrits [2, 3] : le prurigo chronique peut être papuleux, nodulaire, en plaques, ombiliqué ou linéaire. Ces différents types peuvent coexister ou se succéder (fig. 1). On distingue le type papuleux (papules prurigineuses de diamètre < 1 cm), le type nodulaire (= prurigo nodularis, nodules prurigineux en forme de dôme de diamètre > 1 cm), le type en plaques (plaques plates prurigineuses de diamètre > 1 cm, souvent sur la partie inférieure de la jambe), le type ombiliqué (ulcères avec bordure prurigineuse) ou le prurigo linéaire (lésions prurigineuses disposées de façon linéaire) [2, 3]. Tous ces phénotypes cliniques de prurigo chronique présentent des caractéristiques similaires, ce qui confirme qu’ils peuvent être regroupés sous le terme générique de prurigo chronique [4].

Physiopathologie : la sensibilisation au prurit

La physiopathologie est, elle aussi, commune (fig. 2). Le prurigo chronique est donc une conséquence du cercle vicieux prurit-grattage et de la sensibilisation au prurit, c’est-à-dire d’un état de réactivité accrue des neurones impliqués dans la pruriception dans le contexte d’un prurit chronique [5]. Les conséquences cliniques de la sensibilisation sont l’alloknésie (état sensoriel anormal dans lequel des stimuli qui ne provoquent pas normalement le prurit provoquent le prurit) et l’hyperknésie (réponse excessive à un stimulus prurigineux normal). Ces réponses somatosensorielles peuvent être déclenchées par des stimuli thermiques, mécaniques, électriques ou chimiques.

La sensibilisation périphérique peut être attribuée à l’excitabilité accrue des neurones sensoriels due à l’hyper­innervation ou à la diminution apparente d’innervation (cas du prurigo chronique), ainsi qu’à l’augmentation de l’expression, de la sensibilité et de la réactivité des récepteurs (notamment PAR-2, Mrgprs, TLR3, les récepteurs de cytokines et les canaux TRP tels que TRPV1 et TRPA1) qui contribuent à l’hypersensibilité des neurones sensoriels à des médiateurs tels que le NGF, le BDNF, les neurotrophines 3 et 4, la substance P, le CGRP, les endorphines, les cytokines Th2 (IL4, IL13 et IL31), la PgE2 et l’ET-1165-167. Les cellules gliales périphériques (cellules de Schwann et cellules gliales satellites) sont également impliquées dans la sensibilisation au prurit.

La sensibilisation centrale se produit à la fois dans les neurones et les cellules gliales. Au niveau de la moelle épinière, la régulation anormale des voies descendantes inhibitrices peut s’expliquer par la diminution de la libération de la dynorphine A, neuromodulateur κ-opioïde, par les interneurones Bhlhb5+ qui contrôlent la voie GPR/GRPR du prurit, et le dysfonctionnement des voies Bhlhb5+141 ou Vglut2. Quant au cerveau, il paraît mobilisé par et pour cette perception accrue du prurit, et ceci d’autant plus qu’il existe un état dépressif ou de stress chronique.

Physiopathologie : rôle de l’inflammation de type 2

La sensibilisation au prurit est un mécanisme très présent au cours du prurit chronique. Le prurigo chronique a une prévalence qui se situe un peu au-dessus du seuil où l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une maladie rare. La sensibilisation n’explique donc pas totalement la physiopathologie du prurigo chronique car d’autres facteurs interviennent.

La spécificité du prurigo chronique est de faire partie des maladies liées à une inflammation consécutive à l’activation de lymphocytes Th2 et à la production de cytokines telles que l’IL4, l’IL13 ou l’IL31 [6], qu’il survienne sur un terrain atopique ou non.

L’infiltrat inflammatoire dermique est composé principalement de lymphocytes T, mais aussi d’un nombre accru de basophiles 2D7+ et d’éosinophiles MBP+. Ces cellules dermiques expriment l’IL4, l’IL13 ou l’IL31 à un niveau plus élevé que dans la peau saine ou non lésionnelle.

Il est intéressant de noter que l’IL4 est principalement exprimée par les lymphocytes T CD3+ et les basophiles 2D7+. L’IL13 est principalement exprimée par les éosinophiles MBP+ [7]. L’IL31 a été trouvée dans les lymphocytes T mais aussi dans les cellules dendritiques myéloïdes dermiques CD11c+ qui se sont révélées être abondamment présentes dans la peau lésionnelle [8]. Il a été démontré que l’intensité du prurit était associée au niveau d’expression des protéines et des récepteurs de la voie de l’IL31 [9]. Bien que cela ressemble au profil de la dermatite atopique (DA), l’étude des gènes exprimés de manière différentielle indique l’implication des signatures Th1/Th17/Th22 à côté de Th2 dans la pathogenèse du prurigo, ce qui le différencie de la DA. Des signatures immunitaires élevées ont également été trouvées dans le sang, notamment l’IL13 et l’IL31 [10].

Une autre spécificité du prurigo nodulaire consiste en des interactions neuro-immunes spécifiques, conduisant à une hyperexcitabilité des terminaisons nerveuses et même à des remaniements de l’organisation spatiale du réseau nerveux cutané, qui se modifient avec les nouveaux traitements [11, 12].

Enfin, les cytokines Th2 (surtout l’IL4) induisent une fibrose à l’origine des nodules mais ne sont pas les seules en cause. Une population unique de fibroblastes papillaires sécrétoires CXCL14-IL24+ a été identifiée, ainsi que des niveaux élevés de neuromédine B dans les fibroblastes [13]. Les fibroblastes ont également fait l’objet d’une autre analyse unicellulaire récente. Dans cette étude, un phénotype semblable à celui des fibroblastes associés au cancer (CAF) (avec des CAF WNT5A+) a été mis en évidence dans les lésions de la peau du CNPG [14].

Conséquences thérapeutiques

Le prurigo chronique est bel et bien une maladie autonome. C’est pourquoi la nécessité de rechercher une étiologie est discutée, ce d’autant plus qu’elle peut avoir disparu alors que le prurigo chronique est bien présent. C’est aussi pourquoi le développement de nouveaux traitements en relation avec ces nouvelles connaissances physiopathologiques permet d’avoir une efficacité remarquable.

Pour l’instant, le dupilumab, qui cible le récepteur de l’IL4 et de l’IL13, est le seul médicament qui bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). Son efficacité et sa tolérance sont très bonnes, qu’il existe un terrain atopique préexistant ou non [15].

Le némolizumab, ciblant une chaîne du récepteur de l’IL31, permet d’avoir une efficacité et une tolérance comparables [16, 17] et une demande d’AMM a été déposée. Le vixarelimab, ciblant une autre chaîne de ce récepteur, a aussi une efficacité prometteuse dans une étude de phase II [18].

Logiquement, les anticorps neutralisant l’IL13 seule devraient aussi avoir une efficacité. Il en est de même pour les Jak inhibiteurs, par voie systémique ou topique. Des cas ou des séries de cas sont progressivement rapportés mais il n’y a pas d’étude publiée le validant.

Enfin, des immunosuppresseurs qui ont, entre autres effets, de réduire l’inflammation de type 2 sont fréquemment utilisés, même si ce n’est pas validé par des essais cliniques : corticoïdes, tacrolimus, ciclosporine, méthotrexate, thalidomide, etc. Il en est de même pour la photothérapie.

Sans relation directe avec l’inflammation de type 2 mais en agissant sur les interactions neuro-immunes, les gabapentinoïdes, les antidépresseurs, et bientôt les antagonistes du récepteur de la substance P NK1 ou les κ-opioïdes, ont aussi une place.

Conclusion

Le prurigo chronique apparaît ainsi comme une maladie liée à l’inflammation de type 2, au cours de laquelle les interactions neuro-immunes sont encore plus fortes que dans d’autres pathologies du même type (DA, urticaire, pemphigoïde) du fait du rôle initiateur de la sensibilisation au prurit.


Points forts

  • Le prurigo nodulaire ou chronique est une maladie autonome.
  • Il survient dans un contexte de prurit chronique, quelle que soit la cause, du fait d’une sensibilisation au prurit et du cercle vicieux prurit-grattage.
  • Que le prurigo survienne dans un contexte atopique ou non, il est lié à une inflammation de type 2.
  • Le dupilumab est le seul traitement bénéficiant d’une AMM.

Bibliographie

  1. Misery L. Chronic prurigo. Br J Dermatol, 2022;187:464-471.
  2. Pereira MP, Steinke S, Zeidler C et al. European Prurigo Project: expert consensus on the definition, classification and terminology of chronic prurigo. J Eur Acad Dermatol Venereol, 2018;32: 1059-1065.
  3. Pereira MP, Zeidler C, Nau T et al. Position Statement: Linear prurigo is a subtype of chronic prurigo. J Eur Acad Dermatol Venereol, 2019;33:263-266.
  4. Zeidler C, Pereira MP, Ständer S. Chronic Prurigo: Similar Clinical Profile and Burden Across Clinical Phenotypes. Front Med (Lausanne), 2021;8:649332.
  5. Misery L, Pierre O, Le Gall-Ianotto C et al. Basic mechanisms of itch. J Allergy Clin Immunol, 2023;152:11-23.
  6. Müller S, Zeidler C, Ständer S. Chronic prurigo including prurigo nodularis: New insights and treatments. Am J Clin Dermatol, 2024;25:15-33.
  7. Hashimoto T, Okuno S, Okuzawa M et al. Increased sensitivity to touch-evoked itch (punctate hyperknesis) in prurigo nodularis and type 2 inflammation: a cross-sectional pilot study. J Eur Acad Dermatol Venereol, 2023;37:e789-e791.
  8. Liu T, Chu Y, Li S et al. Myeloid dendritic cells are increased in the lesional skin and associated with pruritus in patients with prurigo nodularis. MedComm, 2020;2023:e204.
  9. Hashimoto T, Nattkemper LA, Kim HS et al. Itch intensity in prurigo nodularis is closely related to dermal interleukin-31, oncostatin M, IL-31 receptor alpha and oncostatin M receptor beta. Exp Dermatol, 2021;30:804-810.
  10. Shao Y, Zhu Y, Xiao Z et al. RNA sequencing reveals the transcriptome profile of the atopic prurigo nodularis with severe itching. Exp Dermatol, 2023;32:30-40.
  11. Agelopoulos K, Renkhold L, Wiegmann H et al. Transcriptomic, epigenomic, and neuroanatomic signatures differ in chronic prurigo, atopic dermatitis, and brachioradial pruritus. J Invest Dermatol, 2023;143:264-272.
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  14. Patel JR, Joel MZ, Lee KK et al. Single-cell RNA sequencing reveals dysregulated fibroblast subclusters in prurigo nodularis. J Invest Dermatol, sous presse.
  15. Yosipovitch G, Mollanazar N, Ständer S et al. Dupilumab in patients with prurigo nodularis: two randomized, double-blind, placebo-controlled phase 3 trials. Nat Med, 2023;29:1180-1190.
  16. Ständer S, Yosipovitch G, Legat FJ et al. Trial of nemolizumab in moderate-to-severe prurigo nodularis. N Engl J Med, 2020;382:706-716.
  17. Kwatra SG, Yosipovitch G, Legat FJ et al. Phase 3 trial of nemolizumab in patients with prurigo nodularis. N Engl J Med, 2023;389:1579-1589.
  18. Sofen H, Bissonnette R, Yosipovicth G et al. Efficacy and safety of vixarelimab, a human monoclonal oncostatin M receptor beta antibody, in moderate-to-severe prurigo nodularis: a randomised, double-blind, placebo-controlled, phase 2a study. E Clinical Medicine, 2023;57:1011826.

L’auteur a déclaré les liens d’intérêts suivants : Abbvie, Almirall, Galderma, Kiniksa, Leo, Lilly, Menlo, Pfizer, Sanofi, Trevi.

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À propos de l’auteur

Misery L.

Service de Dermatologie, CHRU, BREST. Laboratoire Interactions Epithéliums Neurones, LIEN, Université de BREST.

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